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DOSSIER d'Aglae : LE MONDE | 23.06.01 | 11h23

L'école, lieu de déni et de souffrance pour les jeunes "pédés"

Entre garçons, "pédé" est l'insulte la mieux partagée. Les filles, elles, écopent d'un "sale gouine" quand elles refusent des avances. Dans les collèges et lycées, au moment même où certains jeunes se découvrent homosexuels, l'insulte homophobe est reine. Samedi 16 juin, les associations Act Up, Aides, la Ligue des droits de l'homme, Prochoix, Sida-Infoservice et SOS-Homophobie, ont tenu colloque pour dresser le bilan de l'homophobie à l'école, et déplorer les carences de l'action publique.
Quelque 12 000 personnes se suicident chaque année.

Parmi elles, bon nombre de jeunes : le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Au Canada, dès 1994, une étude du ministère de la santé montrait que les homosexuels font partie des premiers groupes à risque. En France, aucune donnée n'existe. Le Centre gay & lesbien a donc très récemment pris l'initiative de diffuser dans la France entière un questionnaire "Jeunes et sexualités", qui comporte des questions sur le suicide, et dont les résultats seront connus en fin d'année.

Or l'école est "le" lieu de souffrance, le lieu d'invisibilité pour les jeunes gays, a rappelé, lors du colloque, Michel Dorais, professeur en sciences sociales à l'université Laval, au Québec : "C'est là que se construit le dégoût de soi-même qui mène à la tentation suicidaire." Quolibets, insultes, bousculades, agressions physiques, parfois quotidiennes, et encore peur, solitude, dépréciation de soi... Les participants au colloque, qu'ils soient militants associatifs, chercheurs, professeurs, chefs d'établissement ou syndicalistes, ont dépeint la même – sombre – réalité quant au vécu de l'homosexualité au collège, puis au lycée, à ces âges où sexisme et homophobie soulagent certains jeunes de leurs propres angoisses identitaires.

D'autant que le silence de l'institution scolaire sur l'homosexualité plaide en faveur de sa dépréciation. L'homosexualité est absente des manuels scolaires. "Rien en 6e, 5e, 4e. En 3e, on arrive aux camps de concentration, et là, on fait apparaître les homosexuels pour les exterminer !", a ironisé une enseignante. L'homosexualité des écrivains ou personnages historiques n'est quasiment jamais mentionnée. En cours de sciences naturelles, la sexualité n'est abordée que dans ses visées reproductives. "Nous sommes en pleine contradiction avec les idéaux égalitaires de la République, que l'école, lieu pivot de la socialisation, devrait transmettre, a souligné Daniel Borrillo, maître de conférences en droit à l'université Paris-X et juriste d'Aides. L'école participe au maintien de l'ignorance, des tabous et préjugés, alors qu'elle devrait apprendre aux jeunes à lire l'homophobie comme une forme de discrimination comme une autre."

Sur la ligne Azur (0810.20.30.40), destinée aux jeunes en difficulté dans leur sexualité, les témoignages sur "l'inertie de l'institution scolaire face aux brimades et insultes" sont légion, selon René-Paul Leraton, coordinateur de la ligne. Dépourvus de formation sur l'homosexualité et l'homophobie, qui ne sont pas abordés à l'IUFM, enseignants, chefs d'établissement, infirmières scolaires et assistantes sociales peinent à aborder ces sujets. Lorsqu'eux-mêmes sont homosexuels, et pourraient représenter des modèles positifs pour les jeunes concernés, "ils le cachent, a regretté Christine Le Doaré, présidente de SOS-Homophobie, par peur de l'amalgame pédophile". Par crainte pour leur carrière. "Par peur du jour où les élèves le sauront", a dit simplement Daniel, conseiller principal d'éducation dans un lycée parisien.

"On est dans un non-dit absolu dans les lycées. Et pourtant, depuis le vote du pacs, la parole des élèves tend à se libérer, notamment dans le cadre des nouvelles disciplines, comme l'éducation civique, juridique et sociale. Mais la paranoïa totale autour de la pédophilie bloque tout débat sur l'homosexualité", a témoigné Corinne, proviseur adjoint dans un lycée de la banlieue parisienne. Les associations présentes se sont dites très rarement sollicitées pour des interventions en milieu scolaire. Proviseurs et principaux, pensent les militants, ont peur d'être accusés de prosélytisme par les parents d'élèves. La nouvelle mallette d'information sur l'éducation à la vie et à la sexualité aborde bien l'homosexualité pour la première fois dans un document de l'éducation nationale. Mais la distribution de cette mallette semble erratique.

"Il y a un an, Jack Lang nous avait reçus et nous avait demandé de lui faire des propositions. Depuis, plus rien. On ne va pas encore attendre dix ans avant de parler d'homosexualité à l'école !", s'irrite Daniel Borrillo. Les associations organisatrices ont décidé de contacter quelques dizaines de proviseurs et principaux pour commencer à développer les interventions dans les établissements. Et d'écrire à tous les recteurs pour intervenir en IUFM dans les cours d'éducation à la sexualité.

P. Kr.